Le site d’information en ligne « Var Actu », fraîchement agréé par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), fait l’objet d’une polémique grandissante : une partie de son contenu serait-elle générée par intelligence artificielle ? Cette reconnaissance officielle par l’État, qui suppose rigueur éditoriale, travail journalistique et indépendance, soulève une interrogation qui touche au cœur même des transformations du paysage médiatique à l’ère de l’IA générative. Décryptons les enjeux d’une affaire à la croisée des technologies de l’information et des normes éthiques du journalisme.
Un agrément étatique remis en question par des soupçons de contenu automatisé
La CPPAP, un gage de légitimité pour les médias
En France, l’agrément par la CPPAP confère à une publication en ligne des avantages significatifs : réduction de la TVA, tarifs postaux préférentiels, et surtout reconnaissance institutionnelle du statut de média d’information politique et générale (IPG). Pour obtenir cet agrément, un site doit prouver la réalité de sa rédaction, la nature journalistique de son contenu, son originalité et le respect de la déontologie professionnelle.
Le site « Var Actu », qui couvre apparemment l’actualité du département du Var, a obtenu cet agrément récemment. Cependant, une enquête de Libération, média de référence en matière d’investigation numérique et d’analyse des pratiques médiatiques, met en doute certains fondements de cette reconnaissance : une grande partie des articles publiés sur le site pourraient ne pas être rédigés par des humains, mais plutôt par des outils d’intelligence artificielle générative tels que ChatGPT ou d’autres solutions éditoriales automatisées.
Des indices de production automatique dans les contenus repérés
Les journalistes de Libération ont analysé une série d’articles publiés par « Var Actu » et ont constaté des caractéristiques fréquentes du contenu généré par IA :
- des tournures de phrases génériques et stéréotypées,
- des redites inutiles, typiques de modèles de langage,
- l’absence visible de sources ou de reportage de terrain,
- et des erreurs factuelles mineures mais récurrentes.
Ces anomalies n’équivalent pas à une preuve formelle, mais elles alimentent sérieusement le doute. Libération soulève une question centrale : peut-on considérer comme média de presse un site qui s’appuie massivement sur de l’intelligence artificielle pour produire son actualité ?
Les IA génératives dans le journalisme local : outil ou substitution ?
Une utilisation croissante de l’IA rédactionnelle dans les médias
Le recours à l’intelligence artificielle dans les rédactions n’est pas un phénomène nouveau. Depuis plusieurs années, des groupes de presse utilisent des outils pour produire des brèves sportives, des résultats électoraux ou des résumés financiers. L’AFP expérimente également des formats automatisés.
Mais la bascule s’opère lorsque l’IA n’assiste plus simplement les journalistes, mais devient l’unique productrice de contenu, sans supervision humaine apparente.
Le cas de Var Actu : automatisation ou absence de ligne éditoriale ?
Dans le cas de « Var Actu », Libération pointe un fait préoccupant : l’absence d’équipe rédactionnelle clairement identifiée. Aucune mention de journalistes, pas de mentions d’auteurs attitrés, peu de traces d’activités humaines derrière les productions. Cela renforce l’idée que l’IA pourrait ne plus être un outil mais un substitut intégral à la rédaction.
Le risque ici est double :
- d’une part, la dilution de la responsabilité éditoriale sur les informations publiées,
- d’autre part, la qualification d’un « média » sans réel travail journalistique humain, ce qui poserait un précédent dangereux.
Légalité, éthique et IA : un vide réglementaire en voie d’éclatement
La CPPAP face à un flou juridique sur la génération algorithmique
Jusqu’à présent, la CPPAP évalue les sites d’information selon des critères classiques liés au journalisme de métier. Rien n’indique explicitement que le recours à l’IA soit exclu, tant qu’un contenu éditorial original est produit.
Mais le cas de « Var Actu » pousse à s’interroger sur la robustesse des critères : est-il encore possible de distinguer, lors d’un audit, du contenu écrit par un humain d’un article généré par IA lorsque ce dernier respecte les formes et standards généraux ? Les outils comme ChatGPT, Claude ou Gemini peuvent aujourd’hui produire du texte fluide, riche et structuré, difficile à distinguer sans analyse approfondie.
Vers des lignes directrices sur l’utilisation de l’IA dans les médias ?
Certains acteurs, à l’image de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), alertent déjà sur le besoin de transparence éditoriale. L’Union européenne, dans le cadre de l’AI Act, pourrait également pousser pour un étiquetage clair des contenus générés ou assistés par IA.
Dans un monde où la prolifération de deepfakes, de désinformation automatisée et de « médias fantômes » prolifère, la confiance du public repose sur un impératif de clarté sur les méthodes éditoriales.
Les médias, l’IA et la confiance : quelle frontière entre innovation et manipulation ?
Le journalisme automatisé ne peut pas se substituer à l’enquête humaine
Il est évident que l’intelligence artificielle peut être une aide précieuse dans le traitement rapide d’informations structurées : synthèse de données, traduction, notifications d’actualité, personnalisation. Mais l’essence même du journalisme repose sur :
- la vérification des faits,
- le recoupement des sources,
- la compréhension du contexte,
- et l’humain au cœur de la narration, de l’analyse et de la responsabilité éditoriale.
Remplacer ces étapes par une production algorithmique pure menace de transformer l’information en contenu sans substance, déconnectée du réel.
Une exclusion possible de Discover et Google News ?
Du point de vue du référencement et de la distribution numérique, Google Actualités et Discover, deux plateformes clés pour la visibilité des sites d’information, imposent des critères de qualité stricts. Ils privilégient les contenus originaux, fiables, produits avec une transparence éditoriale réelle.
Si l’enquête de Libération venait à être confirmée, « Var Actu » pourrait risquer une désindexation ou un déclassement de ses contenus dans ces espaces, ce qui impacterait lourdement son audience organique.
Quelles perspectives pour le journalisme à l’heure de l’IA générative ?
Renforcer la crédibilité par la transparence algorithmique
Le débat autour de l’intelligence artificielle dans les rédactions ne doit pas se limiter à une opposition caricaturale entre machine et humain. Il s’agit plutôt de poser les jalons d’un usage responsable et éthique, dans lequel :
- les outils sont encadrés,
- les contenus générés sont étiquetés de façon explicite,
- et les lecteurs sont informés de la nature du processus éditorial.
Plusieurs grands médias internationaux, comme The Guardian ou Le Monde, commencent déjà à intégrer des chartes d’utilisation de l’IA. Certains indiquent en bas de leurs pages si l’article a été assisté ou non par un outil algorithmique, tout en garantissant une relecture humaine.
Un besoin urgent de cadre réglementaire clair
Le cas de « Var Actu » agit comme un signal d’alarme pour les autorités publiques. La CPPAP va probablement devoir mettre à jour ses grilles d’évaluation afin d’intégrer des critères relatifs à la production algorithmique et à la désinformation potentielle.
À court terme, plusieurs pistes doivent être explorées :
- inclure l’obligation de mention expresse en cas d’utilisation d’IA générative,
- mettre en place des audits techniques sur l’origine du contenu,
- favoriser des formations spécifiques sur l’IA à destination des journalistes et régulateurs.
L’affaire Var Actu, révélatrice d’une mutation radicale du paysage médiatique
L’enquête sur « Var Actu » met en lumière les tensions croissantes entre innovation technologique et confiance dans les médias. Alors que l’intelligence artificielle s’insère de plus en plus dans les flux rédactionnels, la distinction entre contenu journalistique et génération algorithmique devient floue. Cela pose un défi immense aux régulateurs comme à la profession journalistique. Dans un monde saturé d’information automatisée, l’exigence de traçabilité, d’authenticité et d’éthique n’a jamais été aussi cruciale. L’avenir du journalisme passera non par le rejet de l’IA, mais par son encadrement rigoureux au service de la vérité.









