Alors que l’intelligence artificielle s’impose progressivement dans tous les secteurs, le paysage médiatique français est à son tour traversé par des interrogations majeures. Un récent développement met en lumière les tensions croissantes entre innovation technologique et exigence d’éthique dans la production d’informations. Le site d’actualités **Var Actu**, bien connu pour couvrir l’actualité du Var, est soupçonné d’utiliser massivement l’intelligence artificielle générative pour produire ses contenus. Plus surprenant encore : ce média a obtenu le statut de **service de presse en ligne agréé**, une reconnaissance officielle qui soulève désormais de vives préoccupations dans le monde journalistique.
Un site local sous les feux de l’actualité : quel est le rôle de Var Actu ?
À l’origine, Var Actu est un média en ligne régional consacré à l’information locale dans le département du Var. De nombreuses publications abordent des sujets de proximité : faits divers, événements culturels, initiatives locales ou actualité politique. Le site propose une offre numérique structurée, relativement modeste mais dynamique, s’adressant à un lectorat installé dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Or, selon une enquête révélée par France Bleu, plusieurs contenus publiés sur Var Actu présenteraient des similarités très fortes avec des textes générés par IA, en particulier par des outils comme ChatGPT ou Jasper AI. Des éléments stylistiques, des formulations standardisées et des constructions narratives typiques des modèles linguistiques automatiques ont mis la puce à l’oreille de certains observateurs.
Une reconnaissance officielle qui dérange : l’agrément comme service de presse en ligne
Le cœur du débat réside dans le fait que malgré ces soupçons d’automatisation éditoriale, Var Actu a obtenu l’agrément officiel du ministère de la Culture en qualité de **service de presse en ligne (SPEL)**. Cette reconnaissance légale implique que le média est considéré comme contribuant au pluralisme de l’information en France et répond a priori aux exigences définies par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et par le décret du 29 octobre 2009 qui régit le statut SPEL.
Cet agrément ouvre droit à divers avantages :
- Accès à certaines aides publiques à la presse
- Possibilité de faire bénéficier ses journalistes de la carte de presse
- Reconnaissance en tant qu’acteur du débat public
Mais ce statut suppose également que la production d’actualité soit assurée « par une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels ». Dans le cas où une grande partie de la production serait automatisée par une IA, cela poserait problème au regard des conditions d’éligibilité.
Des critères d’agrément remis en cause ?
La principale question soulevée par l’affaire Var Actu est celle du **contrôle et de la vérification** des critères d’attribution du statut SPEL. Peut-on considérer qu’un site alimenté en large partie par des contenus automatisés respecte toujours les exigences de fiabilité, d’indépendance et de création de contenu original ?
L’affaire fait d’ores et déjà réagir plusieurs acteurs du secteur des médias, qui y voient une **faille réglementaire** dans la manière dont les critères sont appliqués ou contrôlés. Les risques d’une généralisation de ce genre de modèle pourraient, à court terme, déstabiliser la profession journalistique, déjà fragilisée par la crise économique des médias traditionnels.
S’appuyer sur l’IA : un atout ou une dérive pour le journalisme local ?
Dans un contexte où de nombreux médias indépendants cherchent à survivre face à un modèle économique en crise, l’usage de l’intelligence artificielle peut apparaître comme une solution séduisante pour générer du contenu rapidement et à moindre coût. Les bénéfices espérés concernent principalement :
- L’automatisation des brèves et des communiqués
- La normalisation du traitement d’informations répétitives
- La réduction des délais de publication
Des médias anglo-saxons comme le Washington Post ou l’Associated Press utilisent déjà des algorithmes pour couvrir certains types de contenus, notamment les résultats sportifs ou les publications financières réglementées. Toutefois, ces projets se font dans une transparence assumée, avec des garde-fous éditoriaux stricts et toujours encadrés par des journalistes « humains ».
Ce qui inquiète dans l’exemple de Var Actu, c’est l’absence de traçabilité claire sur le mode de production. Si les articles sont générés par IA sans que cela ne soit mentionné aux lecteurs, cela nuit à la **transparence éditoriale** et à la qualification même de ce qu’est un « journalisme d’information ».
Les limites éthiques de l’automatisation dans le journalisme
Du point de vue des déontologues des médias, le recours aux technologies d’intelligence artificielle sans encadrement soulève plusieurs dilemmes :
- Qui est responsable lorsqu’un contenu généré par une IA contient une erreur ?
- Comment garantir l’absence de biais idéologiques ou politiques intégrés dans le modèle ?
- Le lecteur est-il en droit de savoir si l’auteur d’un article est un humanoïde ou un algorithme ?
Si Var Actu utilise effectivement l’IA pour une grande partie de sa production éditoriale, cela pose la question de la traçabilité de l’information, mais également du **respect du droit à une information fiable, vérifiée et indépendante**, pilier fondamental de la démocratie.
Encadrement réglementaire : vers une intervention du CSA ou de l’ARCOM ?
À ce jour, aucun encadrement spécifique de la production journalistique assistée par IA n’est prévu dans la législation française. Le cas de Var Actu pourrait précipiter la réflexion des autorités : le **Conseil Supérieur des Médias**, devenu **ARCOM**, pourrait être amené à redéfinir les critères de reconnaissance d’un média d’information pertinent au regard des nouvelles technologies.
Les réactions de la profession : inquiétude ou pragmatisme ?
Du côté des syndicats de journalistes comme le SNJ ou la CFDT-Médias, les réactions ne se sont pas fait attendre : nombreux sont ceux qui dénoncent un contournement des règles, voire une forme de **tromperie institutionnelle**, si l’usage de l’IA par Var Actu est confirmé sans transparence pour ses lecteurs.
Certains responsables éditoriaux appellent à faire preuve de discernement : le recours à une aide automatisée peut être acceptable dans un cadre clairement défini, mais ne saurait se substituer totalement à une rédaction composée de journalistes formés, capables de vérification, d’analyse critique et de mise en contexte.
Quel avenir pour les sites d’information automatisés ?
L’exemple de Var Actu pourrait, à bien des égards, préfigurer un tournant dans la production d’information numérique. Voici les trois scénarios possibles à envisager :
- Renforcement de la réglementation : Le gouvernement pourrait rapidement introduire un encadrement spécifique de l’usage d’IA en presse écrite ou en ligne, imposant plus de transparence et des seuils de contenu produit manuellement.
- Normalisation des pratiques hybrides : Une large majorité des médias pourrait adopter des outils d’IA, mais dans un modèle où le travail humain reste au centre du processus journalistique.
- Disqualification automatique de tout média ne produisant pas au moins un pourcentage minimum de contenus “humains” : cela impacterait directement le statut SPEL, rendant inéligibles des sites comme Var Actu.
Des questions cruciales sur la qualité de l’information
Le plus grand risque pointé par les experts est celui d’une perte de confiance du public. À l’heure où la lutte contre les fake news et la désinformation est devenue centrale dans toutes les démocraties, savoir que certains médias reconnus par l’État pourraient être largement pilotés par des intelligences artificielles sans validation humaine interroge gravement sur la **qualité, la fiabilité et l’indépendance de l’information publiée**.
Conclusion : un précédent inquiétant ou le début d’une évolution naturelle ?
Le cas de Var Actu interpelle autant qu’il éclaire une mutation de fond qui traverse l’industrie de l’information. Si l’intelligence artificielle peut renforcer l’efficacité des journalistes, elle ne doit en aucun cas s’y substituer pleinement sans transparence. L’agrément accordé à un site possiblement automatisé met en lumière la nécessité de faire évoluer les cadres juridiques, éthiques et professionnels encadrant la production d’information à l’ère numérique.
L’affaire, désormais médiatisée, pourrait servir de catalyseur pour une nécessaire réforme : repenser les critères d’agrément, garantir la réalité humaine derrière le contenu reconnu comme journalistique, et redéfinir les équilibres entre technologique et éthique. Plus que jamais, les garants de l’information doivent se positionner de manière proactive face aux bouleversements déclenchés par l’IA générative.









