La Cour des comptes dresse un diagnostic de la stratégie nationale pour l’IA

Stratégie IA France : bilan, enjeux et recommandations clés 2025

À l’heure où l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un levier stratégique pour les économies modernes, la France cherche à consolider ses acquis tout en élargissant son influence dans ce domaine de plus en plus concurrentiel. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes dresse un diagnostic de la stratégie nationale pour l’IA, soulignant à la fois les gains obtenus depuis 2018 et les lacunes persistantes. Le document appelle à un changement d’échelle pour faire de l’IA un axe transversal des politiques publiques, et non plus un simple domaine d’investissement technologique. Cette prise de position audite la première phase et trace les contours d’un redéploiement nécessaire pour un impact à long terme.

Une stratégie IA française amorcée dès 2018 : genèse et premiers résultats

Un engagement initial marqué par le rapport Villani

La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle de la France a été officiellement lancée en 2018 à la suite du rapport du député Cédric Villani. Ce rapport définissait les grandes orientations nécessaires pour faire de la France une puissance souveraine en IA tout en assurant un développement éthique et inclusif des technologies.

Dans cette première phase, l’État français s’est concentré sur :

  • Le financement de la recherche fondamentale et appliquée en IA
  • La structuration de pôles d’excellence au sein des universités et grands établissements
  • Le soutien aux startups IA via la BPI et des aides publiques
  • L’émergence d’un cadre réglementaire favorable à l’expérimentation

Des résultats sont notables : la France s’est hissée au 3ᵉ rang européen pour le nombre d’articles scientifiques en IA, avec des pôles comme Inria, le CNRS ou l’Université Paris-Saclay jouant un rôle prépondérant dans les publications de référence.

Une action publique réussie mais cloisonnée

Selon la Cour des comptes, la montée en puissance de certains centres de recherche et incubateurs a permis de consolider « des succès visibles ». Les appels à projets orchestrés par l’Agence nationale de la recherche (ANR), les instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle (3IA), et les investissements via France 2030, montrent que la politique publique a porté ses fruits dans des territoires ciblés.

Mais ces succès restent fragmentés : la stratégie manque de coordination interministérielle et peine à impliquer largement les autres secteurs stratégiques tels que l’agriculture, la santé publique, les transports ou encore la défense, qui pourraient bénéficier d’une appropriation plus transversale de l’IA.

Un audit critique de la Cour des comptes en 2025 : les alertes majeures

Un pilotage limité et une gouvernance éclatée

Le rapport de la Cour des comptes, publié en novembre 2025, rappelle que malgré les efforts de structuration, le pilotage de la stratégie α manqué de centralisation efficace. Plusieurs ministères ont œuvré de manière indépendante, sans cohérence transversale ni feuille de route commune sur le long terme.

Ce déficit de gouvernance a entraîné :

  • Des priorités hétérogènes selon les secteurs
  • Un manque de mutualisation des données et des outils
  • Une IRL (intelligence réglementaire et légale) insuffisamment soutenue

La mission régulatrice qui aurait dû être endossée par les instances gouvernementales n’a pas suivi le rythme d’évolution des innovations IA, notamment face aux nouvelles plateformes génératives.

Des investissements concentrés mais pas assez massifs

Si le rapport reconnaît l’effort budgétaire accompli — environ 1,5 milliard d’euros programmés sur 5 ans — il souligne que ce montant reste modeste comparé aux investissements américains, chinois ou même allemands. L’enjeu n’est plus seulement de financer la recherche, mais d’accompagner les déploiements terrain à grande échelle.

À titre comparatif, selon certaines estimations citées dans les publications liées, l’Allemagne investirait environ deux fois plus par an en IA sur des projets d’application industrielle et institutionnelle. Cela renforce le retard d’usage opérationnel en France.

Vers une stratégie IA de deuxième génération : recommandations clés

Mieux articuler la recherche, l’innovation et les usages

La Cour recommande désormais une stratégie combinant :

  • Un soutien renforcé à la recherche appliquée et à la valorisation économique de la recherche fondamentale
  • L’intégration de l’IA dans les politiques publiques sectorielles (santé, énergie, éducation, justice)
  • La formation intensive des agents publics pour intégrer ces outils dans leurs métiers

Il s’agit de sortir de l’approche en silos. En déployant des programmes d’expérimentation ciblés (comme un Service Public de l’IA), les institutions françaises pourraient accélérer l’intégration concrète des intelligences artificielles dans les services rendus aux citoyens.

Créer une gouvernance unifiée et anticipatrice

La Cour des comptes invite à la création d’une entité interministérielle ou d’un délégué général à l’intelligence artificielle, possédant un véritable pouvoir de coordination stratégique. Un tel dispositif serait en mesure de :

  • Définir des feuilles de route annuelles coordonnées
  • Harmoniser les normes et les orientations techniques
  • Superviser l’éthique, la conformité RGPD et les enjeux d’IA générative

Alors que les innovations IA évoluent à un rythme soutenu, l’État français doit anticiper les ruptures technologiques à venir, y compris dans le domaine de l’IA générative en plein essor en 2025.

Élargir les champs d’application de l’IA dans la société française

Appliquer l’IA aux services publics : un potentiel sous-exploité

Le rapport insiste sur le fait que la France doit déployer l’IA au service de la transformation de l’action publique. Parmi les domaines en fort potentiel :

  • Justice et sécurité : prédiction des délais de jugement, analyse d’antécédents, outils de traduction automatisée
  • Santé publique : diagnostic assisté par IA, suivi de pandémie en temps réel, planification hospitalière
  • Éducation : personnalisation pédagogique via l’IA, systèmes de tutorat adaptatif et détection du décrochage
  • Transition écologique : modélisation climatique, gestion des flux d’énergie et suivi de la biodiversité par vision artificielle

L’enjeu n’est pas uniquement technologique, il est sociétal. L’acceptabilité de l’IA dépendra de la transparence des algorithmes et de la confiance citoyenne. D’où la nécessité pour les pouvoirs publics de redoubler d’efforts en matière de formation, de sensibilisation et d’intégration responsable.

Assurer la souveraineté numérique dans un contexte géopolitique tendu

À l’échelle géopolitique, la maîtrise de l’intelligence artificielle devient un enjeu de souveraineté. La France, au sein de l’Europe, doit renforcer ses capacités d’hébergement, d’accès aux données et ses compétences en conception d’algorithmes durables.

La Cour s’interroge aussi sur la dépendance croissante à l’égard des clouds et plateformes d’origine non-européenne. Elle préconise de renforcer l’investissement dans des infrastructures de calcul haute performance (HPC) et de soutenir les champions français de l’IA cloud-native, en lien avec Gaia-X ou les initiatives européennes souveraines.

Former massivement pour répondre au défi des compétences IA

Renforcer l’offre de formation tout au long de la vie

Malgré les efforts menés via des cursus IA spécifiques dans plusieurs universités, le déficit de compétences reste préoccupant. Il touche à la fois :

  • Les développeurs IA spécialisés (machine learning, deep learning, NLP)
  • Les profils métiers « augmentés » capables d’utiliser ces outils
  • Les décideurs publics ou privés nécessitant une « acculturation » avancée

Un plan de formation sectoriel, combinant universités, grandes écoles, entreprises et organismes publics est proposé. La Cour appelle à intégrer l’IA dans les formations initiales, mais aussi en reconversion professionnelle via notamment les campus numériques existants.

Mettre l’accent sur l’inclusivité et la diversité dans la filière IA

Le rapport attire aussi l’attention sur la faible représentation des femmes et des minorités dans les métiers de l’IA. Il identifie ce déséquilibre comme un facteur de biais algorithmique mais aussi une perte d’opportunité économique pour la France. La diversification des profils pourrait renforcer l’acceptabilité des solutions déployées, tout autant que leur efficacité sociale.

France 2030 et IA générative : un tournant incontournable

Inscrire l’IA générative dans la stratégie nationale

Depuis l’émergence fulgurante des IA génératives en 2023-2024 (comme ChatGPT, Mistral ou Gemini), les politiques technologiques nationales doivent s’adapter. Le plan France 2030 commence déjà à intégrer ces nouveaux usages, mais la Cour des comptes alerte sur le manque de lignes directives spécifiques.

Pour rester compétitive, la France doit :

  • Structurer l’écosystème des LLMs (grands modèles de langage)
  • Anticiper les usages de génération d’images, de textes, de musiques ou de code
  • Favoriser l’émergence d’alternatives européennes exigeantes en matière d’éthique et de traçabilité

Cette révolution est aussi l’opportunité d’accélérer la caducité des processus administratifs désuets par automatisation générative, à condition d’encadrer rigoureusement les usages.

Conclusion : une ambition renforcée indispensable pour ne pas décrocher

Le bilan de la Cour des comptes trace une trajectoire claire : la France a initié les bons chantiers en matière d’IA, mais doit désormais adopter une stratégie plus ambitieuse, mieux pilotée et massivement transversale. Alors que les géants technologiques mondiaux accélèrent, il est indispensable que les politiques publiques conjuguent moyens accrus, gouvernance agile et diffusion concrète des usages dans les services publics et l’économie réelle.

En élargissant son approche — de la recherche fondamentale jusqu’aux applications de terrain, en passant par les compétences et la souveraineté — la France pourrait véritablement inscrire l’IA comme moteur de transformation sociétale durable. Les prochaines décisions gouvernementales en ce sens seront décisives pour faire de l’intelligence artificielle une ressource structurante du modèle français du XXIᵉ siècle.

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