Adoption de l’IA dans l’éducation : pourquoi la France est en retard

Adoption de l’IA dans l’éducation : pourquoi la France est en retard

Alors que l’intelligence artificielle progresse à pas de géant dans tous les domaines économiques et technologiques, sa percée reste étonnamment limitée dans le système éducatif français. D’après un récent reportage relayé par RFI, seuls 20 % des enseignants en France utilisent aujourd’hui des outils basés sur l’IA dans leur pratique quotidienne. Cette pénétration relativement faible soulève des questions majeures sur les freins culturels, infrastructurels et pédagogiques de l’innovation dans nos écoles. À l’heure où certaines nations investissent massivement dans la transformation digitale de l’éducation, la France semble marquer le pas, au risque d’accentuer les inégalités numériques entre élèves et établissements.

Un taux d’adoption très limité de l’IA dans l’enseignement public

20 % d’enseignants utilisateurs malgré un accès croissant aux technologies

Selon les données communiquées dans le reportage diffusé par RFI le 20 novembre 2025, seuls deux enseignants sur dix en France intègrent actuellement l’IA dans leurs usages pédagogiques. Ce chiffre met en lumière une adoption encore marginale, malgré l’accessibilité croissante à des outils numériques alimentés par des intelligences artificielles.

Plusieurs solutions sont disponibles sur le marché, qu’il s’agisse de générateurs de contenus via des modèles de langage comme ChatGPT, d’assistants d’évaluation automatisée, ou encore de plateformes d’apprentissage adaptatif qui personnalisent les parcours éducatifs selon les forces et lacunes des élèves. Pourtant, à l’échelle de l’Éducation nationale, ces usages restent l’exception.

Un paradoxe dans un environnement de plus en plus numérisé

Ce faible taux d’adoption surprend dans un contexte où les infrastructures numériques connaissent un développement significatif : équipements des lycées, ENT (espaces numériques de travail), et cours à distance mis en place depuis la crise sanitaire du COVID-19. L’accès aux outils n’explique donc pas à lui seul cette lente appropriation de l’IA par les professeurs.

Comprendre les freins à l’adoption de l’intelligence artificielle par les enseignants

La résistance culturelle et la crainte de l’automatisation

Le secteur éducatif reste, par tradition, prudent envers les innovations technologiques. La profession enseignante fait souvent preuve de scepticisme vis-à-vis de l’idée selon laquelle des algorithmes pourraient se substituer, même partiellement, à l’intervention humaine dans l’acte d’enseigner. Cette posture découle souvent de deux craintes principales :

  • La dilution du rôle éducatif dans des scripts ou automatismes technologiques perçus comme désincarnés ;
  • Une potentielle remise en cause de leur autonomie pédagogique au profit de recommandations algorithmiques pilotées par des logiques privées, notamment via les EdTechs.

Ce scepticisme s’ajoute à des préoccupations plus éthiques concernant l’utilisation de données personnelles des élèves ou la transparence des algorithmes.

Manque de formation et d’accompagnement

Un autre facteur déterminant est l’absence de formation spécifique des enseignants à ces nouveaux outils. Comme le souligne implicitement le reportage de RFI, beaucoup d’entre eux ne trouvent tout simplement pas les ressources ou les compétences nécessaires pour intégrer efficacement et sereinement l’IA à leur pédagogie.

Les quelques initiatives de formation parfois menées par les rectorats ou les plans académiques restent trop éparses, ce qui creuse un écart entre les enseignants pionniers — souvent autoinformés ou technophiles — et le reste du corps enseignant.

Des usages de l’IA dans l’éducation qui restent prometteurs

Automatisation des tâches chronophages

Une partie du corps enseignant sujet à l’expérimentation de ces technologies met en avant plusieurs avantages tangibles. L’automatisation de certaines tâches comme la correction de devoirs types, le suivi individualisé des progrès ou encore la création de questionnaires selon les critères de progressivité et de compétence est aujourd’hui concrètement possible avec des outils d’IA générative ou analytique.

Ces assistants permettent aux enseignants de se libérer des tâches répétitives afin de se concentrer davantage sur l’interaction pédagogique, le soutien aux élèves en difficulté et la construction de projets.

Personnalisation de l’apprentissage grâce à l’intelligence artificielle

Les outils d’apprentissage adaptatif, basés sur l’IA, ont la capacité d’identifier avec finesse les zones de progrès de chaque élève et d’ajuster instantanément les exercices proposés. Cela introduit un niveau de personnalisation que peu de classes, en particulier surchargées, peuvent offrir de manière traditionnelle.

Par exemple, les plateformes comme Kartable, Maxicours ou Khan Academy intègrent peu à peu ces technologies pour adapter les parcours en temps réel — mais sont souvent utilisées en dehors du cadre scolaire officiel, notamment par les familles.

Préparer les élèves aux compétences du XXIe siècle

Intégrer l’IA dans les enseignements, ce n’est pas uniquement s’équiper d’outils ; c’est aussi acculturer les élèves à une technologie qui fait désormais partie intégrante de leur environnement futur. Apprendre à utiliser de manière critique et éthique les intelligences artificielles est une nouvelle forme d’éducation citoyenne numérique.

Le système éducatif a donc une responsabilité forte pour ne pas laisser aux seules multinationales ou influenceurs numériques la tâche de former les esprits à l’esprit critique face aux IA génératives.

Des disparités territoriales et sociales dans l’usage de l’IA éducative

Inégalités entre établissements et zones géographiques

Les rares enseignants qui adoptent l’IA dans leur pédagogie sont souvent situés dans des établissements mieux dotés, urbains ou bénéficiant de soutiens particuliers via des appels à projets. Les zones rurales ou les établissements sous tension (REP et REP+) sont souvent les premiers à pâtir de cette fracture numérique pédagogique.

Ces inégalités alimentent un cercle vicieux : les élèves qui auraient le plus besoin de soutien différencié grâce à l’intelligence artificielle sont paradoxalement ceux qui en bénéficient le moins.

Une autonomie pédagogique à géométrie variable

La marge de manœuvre laissée aux enseignants pour expérimenter librement varie fortement selon les académies et les chefs d’établissement. Certains collèges et lycées incitent activement leur personnel à explorer ces technologies par le biais de « labs pédagogiques », tandis que d’autres freinent tout usage non officiellement validé par les instances nationales ou académiques.

Cet écosystème fragmenté ralentit la mutualisation des expériences, la diffusion des bonnes pratiques et la constitution de communautés d’apprentissage numériques.

Quelles perspectives pour développer l’intelligence artificielle dans la pédagogie française ?

Un cadre national d’expérimentation concertée

Face à ce constat, plusieurs experts appellent à la mise en place d’un cadre national d’expérimentation de l’IA dans l’enseignement. Celui-ci pourrait s’organiser autour de trois priorités :

  • Financer des projets pilotes dans chaque académie, avec cahier des charges clair et indicateurs pédagogiques d’évaluation ;
  • Créer des plateformes publiques de ressources et d’outils conformes au RGPD, compatibles avec les ENT déjà en place ;
  • Associer syndicats, rectorats, chercheurs et enseignants à une gouvernance éthique des outils utilisés dans les classes.

Formation initiale et continue orientée innovation tech

Il devient urgent d’intégrer, dans les parcours de formation initiale des futurs enseignants (INSPE), des modules spécifiques sur les outils numériques émergents et les enjeux de l’intelligence artificielle éducative. Cela suppose aussi une revalorisation de la formation continue à destination des professeurs en poste, organisée autour de cas concrets et d’ateliers de co-construction de scénarios pédagogiques intégrant l’IA.

Valoriser les initiatives locales pour les dupliquer

En parallèle, il est crucial de recenser et de diffuser les expérimentations locales existantes : enseignants d’histoire-géographie utilisant Midjourney pour étudier l’imagerie de propagande, professeurs de français sollicitant ChatGPT pour faire réécrire des textes selon différents styles, professeurs de maths gamifiant des problèmes grâce à des générateurs d’exercices algorithmiques, etc.

Mettre en réseau ces enseignants innovants permettrait de déconstruire les peurs, de structurer l’usage intelligent de l’IA et d’encourager les écoles à s’approprier ces outils dans leurs projets éducatifs spécifiques.

Éthique, sécurité et transparence : des conditions incontournables

Lutter contre les biais algorithmiques et l’opacité des IA propriétaires

Le recours à l’IA dans l’enseignement ne peut se faire sans une vigilance accrue sur les biais cognitifs qu’ils peuvent reproduire ni sur la transparence des modèles utilisés. Les enseignants doivent pouvoir comprendre les limites des outils qu’ils emploient, avoir le contrôle sur les contenus générés et garantir que les élèves ne sont pas évalués à leur insu par des dispositifs automatisés opaques.

Cadre RGPD et souveraineté éducative

La question des données personnelles est également centrale. En utilisant des plateformes développées par des entreprises privées, souvent américaines, les établissements s’exposent à des risques juridiques et éthiques si les données des élèves sont exportées hors de l’Union européenne ou exploitées à des fins commerciales.

D’où la nécessité d’une doctrine claire de souveraineté numérique éducative, déjà amorcée par certaines collectivités territoriales, mais qui reste à inscrire dans une stratégie nationale ambitieuse sur le long terme.

Conclusion : L’IA peut éduquer, mais l’école doit d’abord éduquer à l’IA

À l’heure où l’intelligence artificielle bouleverse en profondeur nos sociétés, sa place dans l’enseignement reste marginale en France : seulement 20 % des enseignants se l’approprient. Ce retard s’explique par une accumulation de freins — culturels, structurels, éthiques — qui, s’ils ne sont pas levés, risquent de creuser les écarts entre écoles, enseignants, et élèves.

Pour construire une éducation plus équitable, plus performante et tournée vers les réalités du XXIe siècle, il devient impératif d’accélérer l’intégration raisonnée de l’IA dans les pratiques pédagogiques. Cela passera par la formation, la régulation, la concertation, mais aussi par une incitation assumée à l’expérimentation locale. L’enjeu est aussi stratégique qu’humaniste : former des élèves capables non seulement de comprendre, mais de maîtriser les technologies amenées à structurer leur avenir.

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